Incendies. Trois jours de lutte pour sauver la troisième ville portugaise.
A Coimbra, terres et hommes consumés par les flammes
Par Marie-Line DARCY
vendredi 26 août 2005 (Liberation - 06:00)
Coimbra (Portugal) envoyée spéciale
A perte de vue, les collines de la région de Coimbra semblent avoir rouillé. Les eucalyptus léchés par les flammes ont conservé parfois du feuillage, passé du vert sombre au gris. Des pins sylvestres, moins coriaces, il ne reste souvent que les troncs calcinés, plantés sur une terre devenue noire. Aussi loin que porte le regard, c'est un paysage de désolation, alors que les fumerolles sont encore visibles ici ou là. «C'est dangereux. L'humus dans la forêt portugaise est très épais. Ça brûle en dessous, ça se propage par l'intérieur, et le feu repart s'il trouve des feuilles sèches», explique un pompier volontaire venu en renfort des environs de Lisbonne. Il lutte depuis deux jours dans la région de Penela, gagnée par l'incendie qui a pris aux portes de Coimbra, troisième ville du pays. Un feu curieux, qui présente rarement un front unique. Il se divise, se multiplie, s'apaise puis repart. Dans la matinée, les sapeurs-pompiers locaux sont chargés des opérations de surveillance : ils doivent agir vite, dès que l'humus, chauffé par le soleil s'embrase à nouveau.
Volontaires. Luis raconte qu'il lutte depuis trois jours et trois nuits sans se reposer. Sur son visage, les sentiments mêlés de lassitude et d'impuissance. Autour de cette équipe, quelques habitants de la ville de Penela. Sergio était en vacances, mais il a rejoint le peloton des volontaires pour sauver ce qui peut l'être. Le jeune homme connaît bien la configuration de sa forêt. «Il y a un vrai problème d'entretien des sous-bois. Les gens ne sont plus là pour le faire, ou on ne sait plus à qui appartient la parcelle. Ça coûte cher, et, en même temps, ces bois-là ne rapportent rien.» Il montre le fouillis d'arbustes, d'eucalyptus encore jeunes, de taillis épais où les ronces défient quiconque d'y pénétrer. Sergio n'a même pas le temps de finir son explication qu'il repart en courant prêter main forte sur un nouveau départ de feu.
De l'autre côté de la colline, en direction de Miranda do Corvo, la ville voisine, on aperçoit un gigantesque incendie. Le ballet des Canadairs et des hélicoptères est incessant. De la route, le point de vue est imprenable sur un moutonnement de collines pour l'instant verdoyantes. C'est là que déjeunent quelques habitants. «On n'y comprend rien. Hier, le feu était chez nous [à Penela, ndlr], aujourd'hui il est là-bas, avant-hier il était derrière cette colline», décrit l'un d'entre eux. A Penela, le dernier grand incendie remonte à vingt-trois ans. Alors on accuse pêle-mêle la malveillance, le manque de moyens, l'absence des pompiers. Puis on se reprend : «Sans les pompiers, on ne serait sans doute plus là», confie une jeune femme venue ravitailler les volontaires. Face à l'imprévisible comportement du feu, les pompiers ont en effet opté pour une stratégie de protection des populations et des biens.
Lamas, mardi. Dans cette bourgade de 300 habitants située plus au nord, on a frôlé la catastrophe. Alors que les gens s'étaient rassemblés près du cimetière à la sortie du village pour surveiller l'avancée des flammes, la panique a été soudaine, les femmes et les enfants se sont enfuis en courant : le feu avait atteint le lieu. Dona Deolinda a couru aussi vite qu'elle a pu devant elle, la tête dans les mains : «J'ai vraiment peur. C'est comme ça depuis hier, et maintenant notre cimetière !» Les larmes coulent. De douleur, et de rage aussi. Une femme jette son seau à terre, consciente du dérisoire de son arme antifeu. L'attente des renforts ne sera pas longue, quinze voitures de pompiers et des hélicoptères prennent position autour du village, soudain en état de siège. L'unique bar s'improvise camp de base, des hommes épuisés viennent y chercher un bref réconfort au milieu du bruit incessant des camions-citernes.
Colère. Coimbra, qui abrite l'une des plus anciennes universités d'Europe, domine fièrement le fleuve Mondego. A la périphérie, l'urbanisation gagne sur la forêt, au lieu-dit Santo Antonio dos Olivais. «J'ai passé deux jours et deux nuits sans prendre de repos. Les flammes ont léché les murs de ma maison», explique Jorge Castilho. Sa maison est construite sur les cinq hectares de bois dont il a hérité. «J'ai dépensé 10 000 euros il y a dix ans pour aménager ma petite forêt et ouvrir des chemins qui n'existaient pas. Maintenant, ça a brûlé, je veux bien recommencer. Mais cette fois-ci, dans le cadre d'un plan global d'aménagement du territoire.» Dans une autre rue, un immeuble qui abrite près de cinquante familles a aussi été menacé. Les habitants ont la colère au bord des lèvres. «C'est inadmissible. Le bois devant nous n'a jamais été entretenu. La forêt est toute proche, rien ne l'empêche de venir jusqu'ici. Et c'est ce qui c'est passé», s'exclame Antonio Mateus. Lui et ses voisins ont évité l'embrasement de leur immeuble. «Les feux se préparent en hiver et se combattent avec un verre d'eau l'été venu», lâche-t-il, fataliste.
Le retour de la chaleur estivale a ranimé hier les feux que les pompiers étaient parvenus à maîtriser. Au moins neuf foyers sont hors de contrôle. En une semaine, 73 541 hectares ont brûlé. Et depuis le début de l'année, les incendies ont causé la mort de 15 personnes dont 10 pompiers. A Coimbra règne encore cette étrange sensation d'un danger qui guette. Du feu sous la cendre.
In Liberation
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